LA MER MEDITERRANEE
qu'est-ce
que la Méditerranée ? Mille choses à la fois. Non pas un paysage,
mais
d'innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers.
Non
pas une civilisation, mais des civilisations entassées, les unes sur les
autres.
Voyager
en Méditerranée, c'est trouver le monde romain au Liban, la préhistoire en
Sardaigne,
les villes grecque-en Sicile, la présence Arabe en Espagne, l'Islam turc en
Yougoslavie.
C'est plonger au plus profond des siècles, jusqu'aux constructions
mégalithiques
de Malte ou jusqu'aux pyramides d'Egypte. C'est renconter de très
vieilles
choses, encore vivantes, qui côtoient l'ultramoderne : à côté de Venise,
faussement
immobile, l'agglomération industrielle de Mestre, à côté de la barque du
pêcheur,
qui est encore celle d'Ulysse, le chalutier dévastateur des fonds marins ou
les
énormes pétroliers. C'est tout à la fois s'immerger dans l'archaïsme de mondes
insulaires
et s'étonner devant l'extrême jeunesse de très vielles villes, ouvertes à tous
les
vents de la culture et du profit, et qui, depuis des siècle, surveillent et
mangent la
mer.
Tout
cela parce que la Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des
millénaires
tout a conflué vers elle, brouillant, enrichissant son histoire : homme,
bêtes
de charges, voitures, marchandises, navires, idées, religions, arts de vivre.
Et
même
les plantes. Vous les croyez méditerranéens. Or, à l'exception de l'olivier, de
la
vigne et du blé - des autochtones très tôt en place - elles sont presque toutes
nées
loin
de la mer. Si Hérodote, le père de l'histoire, qui a vécu au 5e siècle avant
notre
ère,
revenait mêlé aux touristes d'aujourd'hui, il irait de surprise en surprise. Je
l'imagine,
écrit Lucien Febre, " refaisant aujourd'hui le tour de la Méditerranée
orientale.
Que d'étonnement ! Ces fruits d'or dans ces arbustes vert sombre, orangers,
citronniers,
mandariniers, mais il n'a pas le souvenir d'en avoir vus de son vivant.
Parbleu
! Ce sont des extrême-orientaux, véhiculés par les Arabes. Ces plantes
bizarres
aux silhouettes insolites; piquants, hampes fleuries, noms étrangers, cactus,
agaves,
aloès, figuiers de Barbarie - mais il n'en vit jamais de son vivant. Parbleu !
Ce
sont des américains. Ces grands arbres au feuillage pâle qui, cependant,
portent
un
nom grec, eucalyptus : oncques n'en a contemplé de pareils . . . Parbleu ! Ce
sont
des
Australiens. Et le cyprès, jamais non plus, ce sont des Persans. Tout ceci pour
le
décor.
Mais, quant au moindre repas, que de surprises encore - qu'il s'agisse de la
tomate,
cette péruvienne; de l'aubergine, cette indienne; du piment, ce guyanais; du
maïs,
ce mexicain; du riz, ce bienfait des Arabes, pour ne parler que du haricot, de
la
pomme
de terre, du pêcheur, montagnard chinois devenu iranien, ni du tabac. "
Pourtant,
tout cela est devenu le paysage même de la Méditerranée : " Une Rivière
sans
orangers, une Toscane sans cyprès, des éventaires sans piments . . . Quoi de
plus
inconcevable, aujourd'hui, pour nous ? ".
ecrit par
Fernand
Braudel
Le courrier de l' UNESCO